Bonjour bonjour, Dans mon premier article, je vous expliquais mon arrivée à Ulm et surtout la chaîne d’événements, de rencontres, de hasards etc. qui m’a conduit là. Maintenant que vous en savez plus sur moi, vous aimeriez sans doute en lire plus sur mon travail au DZOK (ou bien je suppose que vous aimeriez en savoir plus…). C’est ce que je vais maintenant m’efforcer de faire – bonne lecture !

Le chant des Marais lors de la cérémonie du Volkstrauertag, le 16 novembre 2014

Dokumta… non, Dokumentatons… ah non, ce n’est pas ca non plus… Dokumentationszentrum Oberer Kuhberg! Qu’est-ce que c’est?

Le DZOK, acronyme de „Dokumentationszentrum Oberer Kuhberg“ (http://dzokulm.telebus.de/index1.html ) (centre de documentation Oberer Kuhberg). Oui, le mot est un peu long, ce qui correspond tout à fait aux clichés des Francais sur l’allemand. Je n’arrive toujours pas à le prononcer ainsi que mon nom lorsque je réponds au telephone. J’ai adopté une abbréviation: Dokuzentrum Oberer Kuhberg, c’est plus facile à prononcer!) est un mémorial à Ulm. Là, la plupart des gens demandent: un memorial à Ulm?! C’est pourquoi suit un petit résumé pour que vous puissiez vous y retrouver un peu.

Le mémorial – histoire d’un lieu

Le mémorial est situé sur les lieux d’un ancien camp de concentration de la période nazie. Le camp a existé entre 1933 et 1935, donc au tout début du Troisième Reich. Contrairement aux camps de concentration plus tardifs, comme Buchenwald, Sachsenhausen ou Dachau à partir du milieu des années 1930, il ne s’agit pas d’exploiter la force de travail des déportés ou de les exterminer par le travail. Il ne s’agit pas non plus d’un camp d’extermination, comme Auschwitz ou Majdanek, où Juifs, Sintis et Roms furent exterminés systématiquement dans des chambres à gaz.

À Kuhberg, comme dans tous les camps de la période 33-35, il s’agissait d’emprisonner et d’isoler les opposants politiques au nazisme en Allemagne. Pour renforcer le régime, les Nazis eurent recours à la propagande. Ceux qui ne s’y pliaient pas devaient être mis au pas par la terreur – effectuée dans les camps de concentration. Il ne s’agit alors pas d’assassiner les prisonniers, mais plutôt de détruire leur personnalité et leur volonté de résister. Les prisonniers ne devaient pas travailler: il s’agissait d’une prison, d’un lieu de torture. La plupart des prisonniers étaient membres du SPD (parti social-démocrate) et du KPD (parti communiste), les premiers opposants au nazisme. Dans le camps furent aussi internés trois ecclésiastiques qui s’étaient exprimés contre le nazisme.

Dans le but de briser la résistance, environ 80 camps de concentration furent crées en Allemagne entre 1933 et 1935, souvent dans des lieux improvisés, comme à Kuhberg, qui était une forteresse vide du 19e siècle. À partir de 1935, la résistance est dans une large part brisée. Les premiers camps sont fermés, étant donné leur faible niveau d’organisation, au profit de grands camps, organisés en un véritable système, comme Buchenwald (1937) et Sachsenhausen (1936).

Voilà pour un cadre historique général.

Le centre de documentation

Si le DZOK a pour mission principale de conserver le lieu et d’en faire connaître l’histoire dans la période nazie, il est aussi un centre de documentation et de recherche sur l’histoire du nazisme à Ulm et dans la région. Le camp de concentration, en effet, n’est pas la seule trace du nazisme à Ulm. Pour ne citer que quelques exemples de l’histoire multiple de la ville dans la période: Hans et Sophie Scholl, deux figures allemandes de la résistance estudiantine au Nazisme, sont originaires d’Ulm et y ont été arrêtés. De nombreux juifs d’Ulm furent déportés dans les camps d’extermination à l’Est; des patients de l’hôpital psychiatrique de Ulm, le Riedhof, furent déportés dans le centre de mise à mort de Grafaneck dans le cadre de l’opération T4. Tous ces thèmes sont aussi ceux du DZOK. D’ailleurs, les bureaux du centre de documentation sont en plein centre ville et non à côté du camp lui-même (qui est plus en dehors), ce qui témoigne de cette imbrication entre histoire du camp et histoire de la ville pendant le nazisme. Le bureau est aussi le point de rencontre de citoyens de la région s’intéressant à l’histoire, et ce à travers des rencontres régulières du groupe “Büchse 13. Treffpunkt für kritische Geschichte” (de l’adresse des bureaux: Büchsengasse 13).

Moins connu que des grands mémoriaux comme Dachau ou Buchenwald, le DZOK a pourtant une grande importance historique: c’est un des seuls mémoriaux érigés sur le lieu – complètement conservé – d’un camp de concentration de la première période (1933-1935). Malgré cette importance, l’équipe du mémorial est encore petite, avec seulement quatre permanents: la directrice, la responsible pédagogique, la secrétaire-bibliothécaire et l’archiviste.

Atterrissage en terre inconnue?

Il a fallu commencer par s’habituer au nouvel environnement de travail – atterrissage en terre inconnue. La terre en question ne m’était pas si inconnue que ca, puisque j’ai entre autres fait des études d’histoire contemporaine et déjà travaillé dans d’autres mémoriaux de la période nazie (voir septembre).

Cela me donne de bonnes bases, et il s’agit d’acquérir les connaissances spécifiques au thème de la persécution des premiers opposants au nazisme dans les premiers camps de concentration, et plus spécifiquement à Oberer Kuhberg. J’ai donc commencé par passer du temps dans la bibliothèque du mémorial à la recherche d’ouvrages spécifiques. À côté de ces lectures, j’ai assisté à plusieurs visites guidées pour des groupes au mémorial, ce qui m’a permis d’une part de me familiariser avec le lieu et d’autre part d’observer les méthodes pédagogiques utilisées dans les séminaires. Je me suis vite rendue compte que la problématique transmise à Kuhberg diffère des fils directeurs que j’ai pu adopter dans des mémoriaux comme Buchenwald, Tailfingen ou Grafeneck. Cela prend un peu de temps de changer sa facon de penser – et c’était (et est toujours) une période riche en réflexions.

D’un autre côté, j’ai dû aussi me familiariser avec mon nouvel environnement de travail. Le DZOK est, comme dit plus haut, un petit mémorial – chacun doit mettre la main à la pâte dans tous les domaines! Archives, bibliothèque, montage d’étagères (^^), répondre au téléphone… Il y a une foule de choses à faire, parfois tout à fait banales, qu’il faut cependant apprendre.

Participer de plus en plus à la vie du mémorial… la conception et l’inauguration d’une exposition temporaire

Très vite, après un certain temps d’adaptation, j’ai pu m‘intégrer de plus en plus à la vie dans le mémorial et ses activités. Je suis arrivée au DZOK dans une période très très chargée: le 16 novembre, une exposition temporaire était inaugurée sur le thème: “se souvenir à Ulm – Confrontations avec le nationalsocialisme depuis 1945” (http://www.gedenkstaettenbw.de/ausgedenkstaetten_ulm_erinnern.html ). Tout le centre s’active depuis des mois – et quand j’arrive en septembre, il ne reste que deux mois pour tout finir!

Des textes, des textes… et encore des textes!!!!!!

L’exposition a été concue et écrite par le DZOK dans le cadre des 70 ans de la fin de la guerre à Ulm. Tous les textes de l’exposition et du catalogue ont été écrits. Lorsque j’arrive, il s’agit de finir d’écrire les textes et de les corriger avant de les envoyer à l’impression. Tous ceux qui ont déjà fait ce genre de travail savent que c’est très chronophage! Par cette relecture, je me suis familiarisée avec le thème de l’exposition. Comme j’ai écrit mon mémoire de master dans le domaine des études mémorielles, j’avais déjà une idée assez précise de la recherche dans ce domaine. Il fut alors passionnant d’étudier en détail l’exemple local de la ville d’Ulm.

Raconter une histoire à l’aide de documents: mais que veut-on faire comprendre aux visiteurs?!?

L’exposition est constituée de cinq domaines, correspondant à cinq périodes chronologiques. Les quatre premiers domaines étaient terminés, mais il fallait concevoir et réaliser le cinquième. Il s’agissait d’un vaste domaine: la diversité et diversification de la mémoire, de ses thèmes et de ses acteurs à partir de 1968. Devant la masse d’informations à transmettre, la décision fut prise de présenter les résultats des recherches dans cinq grands livres, chacun traitant un thème particulier: les protestations de 1968 et leurs conséquences sur la culture mémorielle ; les témoignages ; l’importance de plus en plus grande du souvenir des victimes juives ; le souvenir des frère et soeur Scholl ; le souvenir de groupes de victimes jusqu’alors oubliées. Pour chaque livre, il s’agissait de transmettre des contenus par des documents: textes, photos, articles de journaux… Ca a l’air facile dit comme ca, mais ce fut en réalité très long: nous devions tous ensemble chercher dans les archives les documents appropriés puis faire une sélection. Pour cela, il fallait que nous comprenions bien ce que nous voulions  - et bien évidemment nous n’avions pas tous les mêmes idées au départ.

Je me suis occupée d’un des domaines, à savoir le souvenir des victimes de l’action T4 originaires d’Ulm – un domaine que je connais un peu mieux de par mon stage à Grafeneck l’an passé. Cela fut pour moi l’occasion d’apporter de manière autonome ma contribution à l’exposition.

Enfin, j’ai été très active dans la phase de production des livres-albums: j’ai scanné de nombreux documents avant de les envoyer au graphiste pour la mise en page.

Des voix dans l’exposition

Nous devions encore concevoir deux stations audio pour l’exposition, dans lesquelles différents témoignages apparaissent. Dans la première, il s’agissait de réactions des citoyens au procès des Einsatzgruppen à Ulm en 1958, réactions diverses témoignant des conflits de mémoire dans la RFA des annés 1950. Dans la seconde, il s’agit de témoignages d’habitants d’Ulm de cinq generations différentes sur leur rapport avec le nazisme. Il fallu trouver dans les archives les documents correspondants, les mettre en forme, trouver un ordre adéquat, vérifier que le tout n’est pas trop long… avant de tout envoyer au studio où quatre acteurs ont prononcé les textes pour l’enregistrement.

Construire une exposition, c’est un peu comme construire une maison…

L’exposition était ainsi terminée dans son concept – il ne restait alors plus qu’à faire exister l’exposition en réalité! Des artisans ont travaillé une semaine au mémorial pour la construction, en coopération avec les graphistes – concepteurs de tout le graphisme de l’exposition. Et oui, Une exposition, ce ne sont pas que quelques jolis panneaux dans différentes couleurs. Il y a tout un concept derrière et la directrice du mémorial (rédactrice de l’exposition). À la fin, il a fallu faire tous les derniers details : volume des stations audio, place de certains élements. C’est du sport tout ca! Vous y penserez quand vous visiterez la prochaine exposition…

De même, il a fallu s’occuper de toute la communication: affiches, notes aux journaux…

Le canon de Pachelbel que je joue devant le memorial le jour de l’inauguration de l’exposition le 16 novembre

Inauguration, vernissage… des petits-fours?!

L’inauguration de l’exposition a eu lieu au terme de ces deux mois intenses le 16 novembre, pour le Volkstrauertag (en Allemagne, jour de commémoration des victimes de guerre). La cérémonie annuelle du mémorial a toujours lieu pour le Volkstrauertag – contrairement à la plupart des autres camps, il n’y a eu à Kuhberg aucune “liberation”. Le camp a été fermé en 1935 et les prisonniers transférés vers d’autres camps. Cette année, la cérémonie et l’inauguration de l’exposition ont été fusionnées. Ce fut un grand événement avec plus de 250 personnes.

J’ai eu l’occasion d’accompagner musicalement la cérémonie. Tous les ans est chanté Le chant des marais (das Lied der Moorsoldaten, écrite dans un camp nazi en 1933 par des opposants politiques), que j’ai accompagnée au violon et ma collocataire à la guitare. De plus, j’ai eu la liberté de choisir une pièce pour l’ouverture de l’exposition en tant que telle. Je me suis decidée pour le canon de Pachelbel, que j’ai jouée seule (et non à trois), accompagnée à la guitare par ma collocataire. Ce fut un beau moment – pour moi comme pour ceux qui étaient présents.

Ce que nous aimons, mon précieux, c’est la pédagogie

Les jeunes et le memorial: roulez jeunesse!

Il existe au memorial, depuis plus de dix ans, un groupe de jeunes, appelé les “Dzokkis”. La particularité de ce groupe est que ce ne sont pas des étudiants mais des élèves des écoles, entre 14 et 19 ans. Ils vivent encore chez leurs parents – le problème du groupe est que chacun quitte Ulm après le bac, le groupe doit donc toujours se régénérer.

C’est un point critique cette année: la plupart des Dzokkis ont passé le bac l’an dernier et ont quitté Ulm et le groupe, si bien qu’en septembre il ne restait plus que deux dzokkis! Un troisième s’est rapidement ajouté – mais maintenant, notre première mission est d’agrandir le groupe, ce qui n’est pas si simple!

Annette, la pédagogue du mémorial et moi faisons une réunion avec les dzokkis toutes les deux semaines, au cours desquels nous réfléchissons à différentes méthodes: dans quelle direction le groupe veut-il aller? Quels sont les projets concrets pour cette année? Comment peut-on trouver de nouveaux membres?

Nous faisons des propositions – beaucoup - et en réalisons certaines. Nous sommes allés au théatre voir une pièce traitant de la thématique des réfugiés ; nous prévoyons une excursion au mémorial de Grafaneck ainsi qu’en d’autres lieux, nous aimerions faire une expo photos… Ce qui nous occupe en ce moment le plus est d’aller dans les écoles pour presenter les dzokkis et parler avec les élèves éventuellement intéressés.

Je fais des visites!

J’ai choisi de m’engager avant tout dans le domaine pédagogique – d’où mon intérêt par exemple pour les Dzokkis. C’est pourquoi je me suis aussi concentrée sur la conception de ma propre visite guidée : à partir des lectures et des visites que j’ai vues, j’ai élaboré mon propre concept. J’ai pu faire ma première visite guidée le 19 novembre avec une classe. J’ai eu jusqu’ici plusieurs groupes différents, et ce que j’avais observé dans d’autres mémoriaux se confirme ici : chaque groupe est different, et c’est cela qui rend le travail de transmission intéressant. Et pour l’anecdote, j’ai aussi fait une visite à 18.30, à la lampe de poche!...

J’essaye en ce moment de concevoir des projets internationaux – mais je vous en parlerai plus la prochaine fois!

Et Ulm? Comment ca va dans la forteresse assiégée?!

J’organise petit à petit ma vie à Ulm. Je rencontre beaucoup de gens différents à travers différentes activités, et c’est passionnant! Je joue dans un orchestre (http://www.hs-ulm.de/CampusKultur/Orchester/), où jouent de nombreux étudiants mais aussi des actifs, des retraités… Cette combinaison est très intéressante! Il en est de même dans la chorale où je chante (http://www.uni-ulm.de/en/einrichtungen/unichor.html). Je prends aussi des cours de hautbois à l’école de musique.

Il faut savoir que Ulm est le paradis du brouillard. Il y a du brouillard le matin, le midi, le soir, et entre aussi ! Mais au milieu de tout ce brouillard brille le marché de Noel de mille-feux, avec sa crèche en nature (oui, il y a un âne, un boeuf et un mouton sur la place de la cathédrale), son petit train et ses stands. Et le vin chaud bien sûr! Et oui, Noel en Allemagne c’est quelquechose!

Voilà, c’est tout pour cette fois! Si vous voulez prendre contact avec moi ou avoir des informations complémentaires, n’hésitez pas, écrivez à ASF France (Ines Grau): grau@asf-ev.de qui vous donnera mon adresse mail.

Joyeux Noel et à bientôt!

 

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