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Les contacts œcuméniques ont façonné les débuts
C’est en 1940 que Roger Schutz, protestant suisse à Taizé (Bourgogne), appelle à créer un lieu de refuge pour les exilés de guerre, qui devint après la guerre une communauté monacale. Mi-avril 1961, les 29 premiers volontaires d’Aktion Sühnezeichen en France arrivèrent sur les lieux, et soutenaient la construction d’une grande église de pèlerinage, dont avait besoin la fraternité, en constante croissance, et ses hôtes. Le contact de l’association récemment fondée d’Aktion Sühnezeichen avec Taizé s’était établi grâce au réseau des contacts œcuméniques. Schutz avait une estime toute particulière pour ce projet de construction, avant tout pour le message qu’il portait : à l’endroit même où deux décennies auparavant des réfugiés juifs avaient trouvé protection, de jeunes volontaires allemands y construisaient désormais en coopération avec des Français une Église de la Réconciliation. Leur âge moyen tournait autour de 19 ans, et le spectre de leurs métiers respectifs allait de l’ouvrier à l’ingénieur, en passant par des écoliers et des étudiants. La répartition du travail entre les 24 hommes et les 5 femmes volontaires correspondait aux conventions de l’époque : les hommes s’occupaient du chantier de construction, les femmes des tâches ménagères. À l’égard de Lothar Kreyssig, Schutz couvrait d’éloge l’engagement des volontaires. Ainsi, 30 autres volontaires suivirent les premiers, et le chantier fut terminé en août 1962. Les premières pierres du travail d’ASF en France furent posées. Les volontaires ASF se sont alors engagés à Taizé jusqu’à la fin des années 80. Très vite, d’autres projet de chantiers ont suivis : la restructuration du château de St Cyr au Mont d’Or (Rhône-Alpes), une école de l’Église réformée de France (1961/62), ainsi que la construction de la Synagogue de la Fraternité à Villeurbanne (Lyon, 1962-64). La communauté juive de Villeurbanne se composait autrefois en majorité de réfugiés originaires d’Allemagne – ainsi, un quart de siècle après la Nuit de Cristal, ils trouvaient l’aide de jeunes volontaires allemands pour la construction d’une synagogue – de nouveau, le message était lancé. Les contacts personnels de Lothar Kreyssig, de Franz von Hammerstein, du Consulat allemand de Lyon et du comte Yorck von Wartenburg furent pour ces projets décisifs et ont permis également que des volontaires puissent en 1962 à Salernes (Provence) entreprendre en toute urgence des travaux dans l’immeuble d’une famille juive allemande, parente d’un survivant de la Shoah de Sachsenhausen. Pas moins d’intérêt fut alors témoigné par la partie française de participer à ces projets de construction : c’est ainsi qu’en 1964, 25 volontaires français se mirent en route vers la République Démocratique d’Allemagne, et s’engagèrent sur des chantiers d’été.
Les volontaires exigent un système de codécison et des projets à teneur politique
La teneur des projets changeait : au début des années 1970, les volontaires ASF étaient en effet répartis en mission pour 18 mois sur toute la France, néanmoins surtout actifs en Normandie. Ici, ils s’engageaient auprès d’institutions pour personnes en situation d’handicap, et auprès de groupes sociaux exclus. Une grande partie d’entre eux était des jeunes hommes, objecteurs de conscience. Berthold Mader (volontaire en France de 1975-77) écrit à ce sujet: « Pour la plupart des jeunes Allemands autrefois envoyés en France, le service volontaire ne pouvait être qu’un service d’ordre politique. La plupart étaient d’ores et déjà actifs au sein de diverses associations et groupes de travail, et considéraient leur volontariat avec ASF comme un prolongement et un approfondissement de leur engagement. (…) Ces volontaires fortement politisés exigeaient en conséquence une participation active et un droit de codécision dans les processus de planification, de sélection et d’évaluation des projets en France. Les futurs partenaires de projet devaient être ainsi définis sur place par les volontaires eux-mêmes, avant de s’y investir. Le projet collectif de ferme en Normandie, résultat d’une initiative propre des volontaires en 1976 à Saint-Jean-le-Blanc, a joué sans aucun doute un rôle précurseur, et fut soutenu par tous les volontaires face aux fortes réserves et plans de fermeture du bureau berlinois ». Ainsi, dès le milieu des années 1970, une coopération avec la Cimade[1] vit le jour, et un projet de volontariat se trouvait dans une résidence pour demandeurs d’asile autogérée à Massy (Île-de-France). Mader poursuit : « Un représentant des volontaires fut élu, [un journal interne pour volontaires le pinard publié], et régulièrement avaient lieu des réunions sur une base démocratique à Paris, à Montargis (siège des objecteurs de conscience allemands) ou à St.-Jean-le-Blanc ». Les tensions avec la centrale d’ASF n’en étaient pas à bout, car la radicalisation politique des volontaires en France étaient alors suivies de Berlin avec méfiance. En définitive, les relations avec Berlin se sont apaisées, et le travail d’ASF en France évoluait vers un service avec un degré élevé de responsabilité personnelle, dont purent profiter les deux parties.
Le social est-il politique?
Dans les années 80, ASF-France reprit ce modèle démocratique de codécision des volontaires ainsi que la coopération définie selon des points forts thématiques avec des partenaires du secteur social. Des coopérations avec des projets qui poursuivaient une approche alternative et non-conventionnelle de formes de vie et qui avaient les moyens financiers d’accueillir un volontaire ont alors été privilégiées. Des projets sans assise financière, tel à St.-Jean-le-Blanc, ne pouvaient subsister uniquement grâce à la forte solidarité au sein du groupe de volontaires. Les communautés de vie de l’Arche pour personnes en situation, ou non, d’handicap mental (Fondées en France en 1964 par Jean Vanier) devint un partenaire privilégié et continu d’ASF, tout comme des organisations à tradition anti-thérapeutiques (L’Echappée), ou encore des associations au service de personnes âgées telle Les petits frères des Pauvres – également partenaire de projet jusqu’à aujourd’hui. En outre, les contacts avec le mouvement pacifique français, les initiatives Nord-Sud et les associations d’objecteurs de conscience ont largement marqué le paysage de projets de l’époque. Les volontaires ASF soutenaient aussi activement le travail de relations publiques et de formation continue (Le Cun de Larzac, La Forge und F.I.E.F.[2]). À La Solidarité, des volontaires ASF furent les premiers à partir de 1987 à offrir à des émigrés juifs âgés une aide dans leur vie quotidienne. La même année, avait lieu à Lyon le procès contre l’ancien chef de la Gestapo Klaus Barbie. Le procès révéla dans l’opinion publique française des questions rendues tabou depuis des décennies sur le rôle des Français dans la résistance et la responsabilité de l’Etat français dans la collaboration avec l’occupant allemand, - des thématiques qui touche directement le travail d’ASF. Ainsi, le bureau régional d’ASF à Paris coordonna en coopération avec la MRAP[3] un sondage effectué dans toute la France sur le procès Barbie et ses implications sur la société française[4].
Les chantiers d’été à la française et les Français s’engagent avec ASF
Après la chute du Mur de Berlin, et depuis le début des années 90, des volontaires originaires de la RDA pouvaient désormais effectuer un service volontaire en France, et pour la première fois, des chantiers d’été furent organisés en France. En outre, depuis le milieu des années 90, des volontaires français pouvaient aussi s’engager auprès de projets ASF en Allemagne. L’intérêt existait depuis longtemps : en effet, déjà en 1987/88, un objecteur de conscience français travaillait au Comité d’ASF à Paris, et l’internationalisation du travail des volontaires et des séminaires fut pour une large part impulsée par les expériences du travail en France. Dans le cadre des séminaires d’accompagnement des volontaires, eurent lieu de façon croissante des rencontres binationales et trinationales, qui constituent aujourd’hui encore un aspect important du travail de formation politique et historique délivrée par le Comité d’ASF.
S’ensuivirent de nouveaux domaines d’activité pour les volontaires ASF : notamment du travail d’archive auprès du CDJC[5], des relations publiques à la MRAP et au CCSC[6], de l’accompagnement de personnes âgées juives (Château de Louche) et de personnes en situation précaires, comme les communautés Emmaüs.
Mémoire et Service Civique
Avec l’affaire Barbie, l’approche collective de la France sur l’époque de la Seconde Guerre mondiale, complexe et emprise de tabous, fut bouleversée. Les musées et les mémoriaux furent alors érigés, comme la Maison d’Izieu qui accueille des volontaires ASF depuis l’année 2000. D’autres structures d’accueil dans le domaine de la mémoire et de la recherche ont été par la suite établies : le Centre de la Mémoire d’Oradour-sur-Glane près de Limoges (depuis 2005), le Musée Mémorial du Camps de Rivesaltes près de Perpignan (depuis 2007) ou encore le centre de recherche de Yahad – In unum (depuis 2008). Alors que dans les années 80, les volontaires étaient souvent actifs à plusieurs au sein d’un même projet, notamment dans les communautés de l’Arche, aujourd’hui, la majorité des volontaires s’engage en solo dans un projet.
La réduction des services volontaires de longue durée à un an (2003), ainsi que l’ouverture d’un bureau ASF à Bruxelles (2004), qui encadre depuis lors les volontaires ASF en Belgique francophone jusque là sous la responsabilité de Paris, constituent les évolutions marquantes des dernières années. Depuis 2006, le bureau régional de Paris se trouve au Foyer le Pont, centre de rencontre de l’Église protestante de la Rhénanie. Dans le cadre de cette coopération, ASF organise des séminaires de volontaires et des formations de multiplicateurs, des expositions et des séminaires thématiques. De même, des séminaires bilatéraux sont mis en place en coopération avec des organisations françaises de volontaires, qui apportaient jusque là une pratique moindre du service de volontariat dans la société française, en particulier depuis la suppression du service militaire au milieu des années 90. Depuis 2010, les volontaires ASF sont mis sur pied d’égalité juridique avec leur homologues français, et s’engagent sur fond thématique spécifique relatif à ASF dans le cadre du Service Civique français pour plus de solidarité, contre l’antisémitisme, le racisme et l’injustice sociale.
[1] Le Comité Inter-Mouvements Auprès Des Evacués –partenaire de longue date d’ASF – fut fondé en 1939 au sein du mouvement de jeunesse protestant. L’élément déclencheur fut le soutien aux réfugiés d’Alsace-Lorraine. Durant l’occupation, la Cimade accomapgna de nombreux détenus des camps d’internement dans le sud de la France.
[2] Foyer International d’Études Françaises
[3] Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples – ancien partenaire de projet ASF
[4] Nikola Tietze et Jörg Eschenauer, „L’éloquent silence de Klaus Barbie“. Contribution de Dörte Esselborn dans la brochure „Du participe passé au participe présent“
[5] Centre de documentation juive contemporaine, Paris
[6] Comité de coordination du service civil, Evry